De GASTON DIEHL : La peinture en France dans les années noires (1935-1945)

samedi 15 novembre 2008

Le texte qui suit, paru dans le N° 63 de Ideart (septembre/ décembre 1999), est à la fois l’éditorial de ce même numéro et la présentation du dernier ouvrage de l’historien et critique d’art Gaston Diehl, également collaborateur de la première heure à Idéart.

Comment pouvoir concilier un éditorial et un livre sur « La peinture en France dans les années noires (1935-1945) »-(paru chez Z’EDITIONS en 1999). Momentanément la tâche est susceptible de toucher la fibre de ceux pour qui l’art n’est qu’une expérience et un support pour interpréter à leur manière le souci d’ordonnance, la pensée et les écrits des autres. En effet il aurait fallu un entretien avec l’auteur de ce livre-témoignage où nous apprenons et vivons ces années tragiques, à travers des chapitres tels que « L’Attente », « La rébellion émancipatrice » ou encore « Une Porte s’ouvre, une autre se referme » et dans lesquels Gaston Diehl nous enseigne que la rébellion de quelques uns a donné sa continuité à l’art tel que nous le connaissons aujourd’hui. Années noires dans tous les domaines : pour l’art et les artistes, le qualificatif de dégénéré. Et les autres, me direz-vous ? Oui les autres, ceux-là même qui crachant jalousie et haine dans cette période controversée n’ont rien laissé d’autre que le qualificatif de collaborateurs…

« La peinture en France dans les années noires (1935-1945) » nous invite à découvrir un parcours que seul un précurseur sans préjugés des mouvements artistiques ni des créateurs a su emprunter pour nous faire connaitre aujourd’hui tous les cauchemars de ceux qui osèrent se révéler à l’idéologie du moment.
Gaston Diehl, fervent incitateur et organisateur de débats, d’expositions, de concerts depuis 1934 nous a donné aussi des ouvrages sur les artistes qui marquent jusqu’à nos jours l’activité artistique mondiale : entre autres un Derain, des petites monographies de Goya, Greco, Gauguin, Van Gogh, Delacroix, Singier et sur l’art français contemporain : Max Ernst, Miro, Le dessin en France au XIXe Siècle etc. Il a dirigé quatre films d’art sur « Van Gogh », « Gauguin », un essai sur « Malfray » réalisé par Alain Resnais, un « Watteau » réalisé par Jean Aurel. Et n’oublions pas ses longues années passées comme professeur. Il occupera également les fonctions d’Attaché Culturel et de Directeur de l’Institut Vénézuélien-Français pendant dix ans.

Ainsi, à travers les années, il a su insuffler à d’autres le désir d’aller toujours plus loin dans les diverses tâches qu’elles soient artistiques ou journalistiques.
Ideart et moi-même rendons hommage à son travail et proposons ci-dessous à nos lecteurs un des thèmes du premier chapitre « le regard devant l’œuvre » dans lequel vous trouverez une richesse d’information indispensable pour désormais connaitre les préoccupations et le vécu de Gaston Diehl.

De Gaston Diehl, LE REGARD DEVANT L’ŒUVRE


Après maintes erreurs et vaines interrogations, j’essaie de mettre au point un système de références qui m’incite à me reconnaitre tant soit peu dans le dédale de l’art contemporain auquel les normes de classicisme ne sont plus applicables.

L’enseignement reçu à l’Institut d’Art et d’Archéologie aussi bien qu’à l’École du Louvre ne m’a nullement préparé à distinguer le bon grain de l’ivraie et aurait plutôt tendance à m’égarer au nom d’une soi-disant tradition.

Être attiré par un tableau signifie seulement qu’il dispose d’une force de séduction peut-être superficielle, susceptible de masquer un vide dont on se rend compte par la suite. Loin d’une soudaine passion, il s’agit plutôt d’accepter une lente approche amoureuse où tous les sens autant que les facultés d’observation ou de jugement sont mis en état d’alerte. Un simple examen objectif de ces copeaux de lumière et d’intime émotion laissés sur le support par les touches ne résout rien, ne suffit pas. Il faut pénétrer plus avant dans la texture, tenter de se substituer en quelque sorte au créateur pour être mieux en mesure d’interpréter ses motivations, son état d’esprit, ses gestes parfois inconscients. Intelligence, sensibilité, expérience ne sont pas de trop pour faciliter un tel cheminement.

Laissant un peu de côté le thème dont nous savons maintenant qu’il n’a qu’un intérêt relatif, c’est la surface peinte en soi qui doit requérir le maximum d’attention. La composition pose un premier problème majeur de qualité de la réflexion, de souci d’ordonnance, d’adresse dans la mise en place, de désir d’invention, de libre volonté. En fait nous voici déjà en présence du caractère même, du niveau intellectuel du créateur et nous continuons à les déchiffrer à travers les réseaux linéaires dessinant tour à tour contours et délimitations avec souplesse ou fermeté. La surface, c’est avant tout la couche picturale qui par sa densité ou sa légèreté, à l’occasion les espaces non remplis, par son animation propre, je dirais sa respiration et son mouvement, son aspect de peau vivante, éveille la curiosité des divers sens car au-delà du regard qui la scrute et l’analyse, on a souvent envie de la frôler, de la palper. D’un fragment pris au hasard, on doit pouvoir extraire une certaine jouissance et établir un test qualificatif. Le coup de pinceau énergique ou relâché, hâtivement jeté ou patiemment repris, ne lasse pas d’intriguer à propos du tempérament, de l’humeur des habitudes, de celui qui témoigne ainsi par son écriture-même. Vient ensuite l’élément essentiel, la couleur qui parle encore davantage par son frémissement interne. L’équilibre des taches et surtout le choix des gammes. Ses secrets ne sont accessibles que progressivement tant la matière est le reflet direct des besoins complexes de son auteur. Moyen d’expression, véritable langage, la couleur demeure sa propriété, transcrit son impulsivité ou son goût de la méditation, sa perception sensible autant que son élan imaginatif, son enthousiasme fervent autant que ses inquiétudes. Elle correspond à une certaine forme d’introspection.
C’est pourquoi elle ne peut être seulement livrée à la vue momentanée et indifférente d’autrui, mais longuement offerte au regard du dedans. Le degré de subtilité ou de franchise des accords, les coutumières harmonies dont use un artiste révèlent sans détour les facettes de sa personnalité. Reste la partie de l’innovation, de l’inédit, qui me laisse perplexe. Si le renouvellement est assurément indispensable, son emploi abusif devient vite fastidieux et aboutit au jeu gratuit. L’effet de surprise n’a qu’une durée fort limitée et je préfère un graduel enrichissement à base de découvertes sensibles.

Pour conclure, avant de se prononcer sur un tableau, ne faut-il pas au préalable « apprendre à voir ». Telle sera la devise que je donnerai à l’association « Les Amis de l’Art » que je fonderai à la Libération. N’est-il pas indispensable de se préparer, s’armer d’humilité et de patience, s’ouvrir à l’inconnu en commençant par s’interroger ? Qui peut se contenter d’un clin d’oeil sur une œuvre pour englober la diversité de son contenu et distinguer ses mérites, toutes choses qui ne se dévoilent que progressivement ? Comme pour les œuvres littéraires maitresses que l’on peut lire et relire sans se lasser, il convient de se familiariser avec une toile, de vivre avec elle afin de disposer d’un temps et plus encore d’un recul suffisants pour être capable de l’approfondir, d’y rencontrer son existence secrète, d’apprécier son pouvoir de rayonnement et sa force de communication émotive.

Dernier élément, sans doute déterminant pour un jugement définitif : la façon dont sont alors résolus les problèmes d’espace et de lumière ; celui du temps ne sera posé que bien plus tard. Il me semble indispensable, surtout à présent, d’avoir latitude pour se mouvoir dans l’espace si particulier d’un tableau à la fois exigü et illimité, l’explorer, presque s’y dissoudre et s’abandonner à son pouvoir de suggestion. Dilemme semblable face à la lumière à la fois enclose et débordante qui seule possède le privilège de nous entrainer encore plus loin vers l’infini visionnaire de la spiritualité.

Victor Artiéda, pour Ideart


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Un texte de Jicé écrit en 2010

mardi 12 octobre 2021


Un texte de Jicé écrit en 2010 pour l’exposition : Les saisons du Vin

Peindre, dessiner, photographier, calligraphier ...).

Peindre, dessiner, écrire, photographier, pour la plupart d’entre nous, de Reg-Arts Croisés, cela part de l’observation. Dans mon cas c’est LE point de départ de ma peinture. Et il m’a fallu quelques années pour comprendre ces peintres comme Cézanne qui allaient peindre sur le motif.

Dans ce monde qui nous entoure et nous inonde d’images, il reste que la place essentielle est celle de l’oeil qui fait voir. L’objet du peintre c’est de révéler sa vision aux autres.

La mienne est fragmentée. Je crois que la vision est une question de mémoire. Dans mon souvenir j’accumule des morceaux en vrac. Je les organise dans mon dessin.

Le choix par notre groupe d’un thème de travail comme celui du vin ne m’a pas gêné. Quoi de mieux que des vignobles pour révéler le relief, la courbure des terres. Quels tissages étonnants offre l’orientation des vignes et des piquets.

Tout près, je peux toucher les feuilles des vignes, la peau des ceps, les grappes. Et au fil des ballades, selon les saisons, des choses nous attirent. Ce sont nos galets en été, secs, si rouges parfois, fait de cette quartzite si dure qui s’est rubéfiée ou rayée au cours de sa pérégrination géologique. Ou à l’automne cette grappe écrasée du pied. Ou en hiver ces grappes sèches encore accrochées, si noires dans la neige.
Et parfois des surprises venues au détour de visites, un arrière plan dans une peinture de l’école de Simone Martini, La prédication de saint Jean-Baptiste (vers 1454) de Giovanni di Paolo visible au Petit palais d’Avignon. Dans ce petit panneau,la structure en damier des champs m’évoque celle des vignobles, et je me l’approprie. Comme je m’approprie ce bord de retable vu dans une église de l’arrière pays niçois, où un sarment de vigne tourne autour d’une colonne bleue, portant feuilles et grappes dorées.
Ces souvenirs vont rencontrer des lectures. Et pour unir encore plus ces deux choses, peinture et poème, j’ai voulu réunir le texte et l’image.

A propos de ...

lundi 6 décembre 2010

 

A propos de nos tableaux à plusieurs mains.

COBRA singulier-pluriel : ce livre de 98 m’a sauté en main. J’y ai découvert qu’à la création du groupe en 48, les poètes, peintres, philosophes qui l’intègrent se mettent à écrire et peindre sur les mêmes supports, à deux ou trois, ensembles.

Des « peintures-mots »comme dit Christian Dotremont le fondateur.

Et Pierre Descargues dans la préface de l’ouvrage précise :

 « c’est pour bien marquer que la création est un partage que dès la fondation de COBRA il y eu abondance d’œuvres collectives. »

Je pense qu’il y a eu avant ou après, voisines en esprit, de telles actions, sans doute. Mais je sens que nous avons attrapé le témoin d’une course toujours vivante.

Jicé